mardi 5 octobre 2010

Réforme des retraites : mon article paru sur LeMonde.fr

Un système de retraite autiste à une donne structurelle : l'emploi des femmes

"Aujourd'hui les quelques analyses qui s'intéressent à la question des retraites des femmes questionnent l'impact du système actuel, voir les propositions de reformes annoncées. Ces analyses, aussi pertinentes soient-elles, omettent un postulat de base qui éclaire la réflexion sous un autre angle : le système des retraites dans le cadre du système de protection sociale, a été conçu à l'origine, sur le modèle de la carrière continue et complète, et donc sur celui de la carrière des hommes. Ni les réformes de 1993 ni celles de 2003 n'ont remis en question ce système en prenant en compte une donnée structurelle incontournable, l'arrivée massive en 1970 des femmes sur le marché du travail et les caractéristiques de l'emploi féminin y afférent.


En effet, il aurait été légitime de penser que la réforme de 1993 prenne en compte l'évolution notoire du salariat caractérisée par la proportion de femmes dans la population active qui s'élevait déjà à cette époque à 43 %, et de toutes les spécificités qui en découlent.

En 2010, la situation des femmes sur le marché du travail est particulièrement sous tension, car la crise est l'alibi d'une institutionnalisation de la précarité des femmes, avec des temps partiels courts, des emplois fragmentés peu qualifiés et dégradés qui ouvrent la voie à une pauvreté généralisée des femmes comme l'a dénoncé le rapport annuel du Secours catholique de novembre.

Ainsi le constat sur l'emploi féminin est sans appel, comme l'indique le rapports de l'assemblée national d'octobre 2009. Les deux tiers des salariés à bas salaires sont des femmes ; Les femmes occupent des emplois plus précaires, pour 30 % d'entre elles ces emplois sont exercés à temps partiel ; Elles sont globalement moins qualifiées que les hommes (elles représentent 76,8 % des employés et 17,1 % des chefs d'entreprises de dix salariés et plus) ; Les écarts de rémunérations demeurent, l'écart de salaire horaire avec les hommes s'établit à 16 % (cet écart augmente avec le niveau de diplôme et l'âge des salariés).

Tout en respectant les deux principes fondateurs de répartition et de solidarité sur lequel repose notre système de retraites, l'ensemble de ces facteurs qui remet de fait en cause le postulat de base du système des années 1945, devrait intégrer pleinement toutes les analyses actuelles qui sous-tendent des réformes à venir.

Notons quand même, que de rares mesures prenant en compte la situation des femmes, ou plutôt celles des mères, sont venues pondérer à la marge ces systèmes de retraites publique ou privée, comme un cautère sur une jambe de bois ; pour l'essentiel ce sont les majorations de durée d'assurance pour les femmes ayant eu des enfants (MDA).

Comme le montre très explicitement le rapport de l'Assemblée nationale publié en octobre sur cette question, cela n'a été qu'un léger correctif qui n'a pas compensé l'écart des pensions des retraites entre les hommes et les femmes qui résulte des périodes d'inactivité, des temps partiels ou émiettés, des inégalités salariales et de la moindre progression professionnelle. Rappelons que les femmes touchent en droit direct 825 euros contre 1 426 euros pour les hommes, 41 % d'entre elles ont effectué une carrière complète ; en conséquence les femmes liquident leur pension plus tard pour éviter l'application d'une décote sur une pension faible, 30 % d'entre elles attendent 65 ans pour enfin accéder au bénéfice d'une retraite à taux plein contre 5 % pour les hommes.

UN SYSTÈME TOTALEMENT HERMÉTIQUE

Alors, que dire des évolutions et des réformes en cours ? Tout d'abord la remise en cause partielle et partiale de la MDA, au prétexte de l'application du principe de l'égalité entre les femmes et les hommes, au regard de l'éducation de l'enfant, alors qu'il s'agit-là de compenser tous les facteurs de discriminations que subissent les femmes tout au long de leur vie active.

Ensuite, la contre-réforme annoncée avec le report de la date du départ à la retraite à 62 ans et le droit de la retraite à taux plein à 67 ans au lieu de 65 ans qui va en toute logique lourdement pénaliser les femmes, car la majorité d'entre elles ont des trajectoires professionnelles discontinues voir chaotiques et précaires ainsi que faiblement rémunératrices. Ce système serait l'une des plus dures d'Europe : en Allemagne, on peut aujourd'hui partir avec une retraite à taux plein à 63 ans et avec 35 ans de cotisations.

En conséquence, si le gouvernement persiste dans ces propositions, il portera la responsabilité d'un système totalement hermétique aux évolutions du marché du travail et pénalisant pour les femmes, générateur sciemment d'une aggravation des écarts de pension déjà constatés entre les femmes et les hommes mais aussi d'une augmentation de fait, de façon exponentielle du nombre potentiel de femmes pauvres à la retraite, voir sans domicile fixe, dans les prochaines années.

A contrario, nous aurions pu espérer une réforme digne de ce nom qui, au-delà du volet financier, s'interroge sur les évolutions majeures des cinquante dernières années et prend notamment en compte cette donne irréversible que représente l'emploi des femmes. Cette réforme aurait ainsi pu prévoir des dispositions pour compenser les effets discriminants, cumulés, liés aux distorsions qui résultent des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes tout au long de la vie professionnelle, et ainsi favoriser le versement de pensions honorables."

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